Ssi seulement

une nouvelle contre-dystopique



Québec, Novembre 2026

Hallelujah! Après plusieurs années d’irrésistible ascension populaire, Québec Inclusif est miraculeusement passé au pouvoir. Non majoritaire pour leur premier mandat, leur capacité à réinstaurer le débat sur la place publique, à entendre les différentes opinions et à les mêler dans une gouvernance visionnaire les a placé en majorité pour leur deuxième victoire électorale.

Miraculeusement parce qu’on s’entends que c’était pas gagné. Le dernier gouvernement, bon an mal an, a réussi à faire passer sa réforme du mode de scrutin. Et quand le vote est devenu un tant soit peu plus représentatif, les gensses n’ont plus eu à se casser le bécik pour leur vote stratégique. Ça pis le boycott généralisé des sondages, ça a fait des miracles.

Fak on s’est bien amusé ces dernières années! Ça a été houleux, mais les voisins se sont parlés. Les boomers ont écouté les jeunes qui ont écouté les vieux qui ont écouté les autres, les minorités ont eu voix dans la majorité et on a réussi à faire de ce joyeux bazar une belle confiture budgétaire qui a fait la part belle à un vrai projet de société! Tu sais, ces deux mots galvaudés au centre de toute la rhétorique politicienne depuis le grand René, bein en fait ça voulait dire quelque chose. Il suffisait qu’on laisse du temps aux gens pour se rencontrer, que leurs voix puissent porter autrement qu’en pour ou contre. Pis ça quand c’est arrivé, ça l’a toute changé.

Je vais te raconter l’histoire de ces dernières années. L’histoire qui a placé le Québec à l’avant-plan politique du monde, qui a créé ce mouvement de démocratie réelle à travers la planète et remisé les extrémismes où ils peuvent être entendus sans tueries.

1ère partie : Une histoire d’humains, du cirque électoral au carnaval poé-litique

Parce que c’est évident, le mouvement a été porté à bout de bras par une poignée de pelleteux de nuages. Fait original, ceux-ci ont souhaité rester anonymes – ils y ont même notoirement réussi!

Ils prétendaient que savoir leurs noms ne ferait que les faire passer pour des sauveurs, et qu’on bouffait assez de super héro depuis que Disney a racheté Marvel. Laisse moi te dire que les réunions étaient assez originales. Tout le monde venait déguisé! Le mot d’ordre, la date et l’heure des rencontres étaient passé de bouche à oreille par des crieurs publics et autres affiches. On s’était dit qu’il valait bien mieux laisser les réseaux sociopublicitaires en dehors de nos affaires privées si on voulait éviter l’ingérence. Puis comme on avait de bonnes bottines, les babines étaient bien portées et les réunions battaient des records d’achalandage!

C’était incroyable. On se retrouvait dans un espèce de party d’halloween politique, avec des gens portant toute sortes d’idées sérieuses, saugrenues et contradictoires, libérés par leurs déguisement de leurs personna et de fait ouverts à des discussions constructives.

On a pas réinventé la roue. Depuis que les islandais ont montré la voie, on sait faire travailler du monde ensemble. On commence par des petits groupes, qui choisissent un représentant qui va porter leur opinion dans un autre petit groupe, jusqu’à ce que tout le monde comprenne les enjeux des décisions et atteigne non pas un compromis, mais un consensus. Je peux te dire que ça pouvait prendre du temps tout ça. Mais comme on était pas fous, on limitait les sessions à quelques heures. On avait aussi décidé d’organiser ça pour que tout le monde puisse participer. Ça paraissait compliqué au début, mais en enjoignant les multinationales à payer ce qu’elles devaient on avait bizarrement réussi à réunir assez d’argent pour offrir à la province entière ce qui est devenu « le jour démocratique ». On a décidé de faire ça le lundi, pour que le dimanche devienne la veille d’un party plutôt qu’un dessaouloir à vague à l’âme.

Partant de là, on avait tous les ingrédients pour faire une bonne soupe. Et on s’est rendu compte que les grecs avaient bien raison, pour qu’une société fonctionne ça prend pas des hérauts démocrates ou d’autres élites machiavéliques. Ça prend juste de vrais gens qui ont le temps de se parler.

2ème partie : Ouvrir le parachute

Dès lors que les rencontres ont commencé, l’éco-anxiété généralisée a parlé. Pis elle a parlé de toutes sortes de manières! Il a bien fallu commencer par comprendre que créer de l’énergie, c’est sale. Et que l’énergie, avec les hivers qu’on se paye, il nous en faut en masse. Mais bref, le consensus était bien là. Mieux encore, les solutions aussi! Programme de reforestation massive, responsabilisation et mise sous tutelle provinciale des compagnies minières, de production énergétique…

On avait lu quelque part que le réchauffement climatique pouvait être ralenti si les humains pouvait planter 1000 milliards d’arbres. Puis on a fait des mathématiques de gros bon sens, on s’est appliqué parce que c’était des gros chiffres, et on s’est dit qu’il fallait bien commencer quelque part et que le Québec serait donc beau avec un retour à sa diversité forestière originelle. On a utilisé les outils qu’on avait, on en a créé de nouveaux, on s’est arrangé pour faire rimer technologie et écologie. C’est assez simple avec des mots, puis on s’est vite rendu compte que c’était pas si tant compliqué de le faire avec des idées aussi.

On avait toute à notre disposition! La machinerie forestière, les technologies de l’information pour synchroniser tout ce beau monde, la motivation j’en parle même pas. Tout le monde se ruait dans les bois – respectueusement qui plus est! Plus question de voir les restes de caisse de 24 après une fin de semaine où on est allé planter des arbres. J’te le dis, c’était si simple. On a rien créé. L’intention était déjà là, la motivation aussi. C’est à croire que c’était vraiment la machine système qui broyait les poussins que nous étions pour pas faire ce que notre coeur nous disait de faire tout ce temps-là.

3ème partie : le glocalisme

C’est là que le monde s’est mis à nous watcher solide. Bon, déjà ils ont pas trop aimé ça quand Québec Inclusif sont passés au pouvoir et qu’ils ont pas eu le choix de tenir leurs promesses participatives. Le fédéral était bein stressé, on leur a fait un coup de chantage référendaire. Même le fou à toupet du dessous s’en est mêlé de ses tweets ridicules et autres menaces de tarifs douaniers. Puis c’était pas le seul à stresser hein, tous les Kamarades des G20 et alliés ont voulu faire capoter nos affaires. Les lobbyiste lobbyaient fort, les menaces volaient bas, dont certaines ont étés mises à exécution. Figurez-vous qu’on a été puni, pu l’droit d’acheter des pommes de métal! Certain que ça a été difficile, on s’est retrouvé avec des manifestations gigantesques à ce moment là. La peur de perdre la commodité de la modernité, tu sais là où le progrès nous a mené plutôt que nous libérer.

On a jasé solide entre nous. C’est pas parce qu’on était des porteurs d’eau qu’on avait tant le goût d’y retourner. Des réseaux internationaux d’entraide se sont mis en place. Tout le monde qui rentrait au pays ramenait des fairphones, ils en ont jamais vendu autant! On s’est mis à réparer nos choses plutôt qu’en vouloir de nouvelles, c’est ça qu’on avait pris comme consensus post-jasette. On s’est rendus compte qu’on était quand même bien lotis avec nos productions de matières première. Acier, aluminium, électricité… Bon, sur qu’il nous manquait des affaires et que le bout a été tuff à passer, pis qu’on est toujours pas sorti du bois.

Et pourtant. C’est là que ça a commencé à faire boule de neige, pis on parle pas d’une petite boule là. Le Vermont a pas été long à suivre la tendance, sont habitués à penser un ti peu déjà. La Californie a suivi figurez vous donc! C’est passé proche de la guerre civile chez les voisins à ce moment là, pis la rue du mur (Wall St. t’sais) a pas aimé ça du tout crémoé. Ça shakait partout. Toute ce que l’école de Chicago a stratégisé de longue date s’est mis à tourner dans l’beurre quand leur principal fournisseur de valeur fictive s’est sorti des manières d’antan. À regarder ça aujourd’hui je sais pas comment on est passé à travers les mailles de la guerre, mais c’est un fait, on l’a faite. C’était comme un chemin de domino géant par la suite, qui continue encore d’ailleurs. Les pays arabes ont embrayés, bien trop content de sortir de leur misère imposée, ça continue ailleurs en Afrique, l’union européenne est en train de se refonder sur de nouvelles bases démocratiques… Même l’Angleterre commence à vaciller, alors le « commonwealth » devrait plus trop tarder à bifurquer.

Man, j’te dis qu’on en a du gros fun sale à voir l’élite auto proclamée d’hier se réfugier dans leurs propriétés les plus reculées. Heureusement, les plus smatt d’entre eux ont compris et viennent aux assemblés comme tout le monde. On peut pas leur en vouloir d’être dur à la comprenure, c’est pas simple de se faire dépouiller de ce qu’on croit posséder de droit. Encore que c’était pas mal plus smooth qu’en 1789, on a coupé aucune tête mais le château de carte s’est effondré sur lui même. Depuis le temps qu’on le prophétisait, bein faut croire qu’on était de bons Nostradamus.

Pour en revenir au titre, le glocalisme s’est développé spontanément sur les bases d’internet enfin réapproprié. Les réseaux sont redevenus neutres, le contenu publicitaire n’a pas disparu à 100% mais on est tous en contrôle de nos données personnelles. Puis les communautés ont continué à s’organiser comme elles savaient déjà le faire, juste mieux. Plus de freins dus au sous-financement chronique du tissu associatif, on s’est enfin rendu compte que c’est eux, les organismes communautaires, qui connaissent leur travail et leurs communautés. Ils discutent entre eux, dans le monde entier, s’apportent des idées et des manières de faire de plus en plus efficaces pis qui rendent leurs actions encore plus pertinentes.

Après c’est pas parfait, loin de là, mais le système s’auto-régule bien mieux que l’ancien Marché. De toute façon tout le monde participe, alors si ça dérape comme quand quelqu’un se prend d’une crise de managîte aigüe (autrement appelé syndrome du petit chef), bein il se fait inviter à prendre quelques vacances et il revient quand il aura pu passer sa frustration en jasant dans nos belles structures médicales accessibles.

4ème partie : la minorité majoritaire, pis les autres

Ha, les Femmes. Qu’est-ce qu’on ne leur a pas fait dire et subir? La masculinisation du monde avait commencé il y a longtemps, basée sur des principes genrés qu’on commence tout juste à appréhender. Heureusement qu’elles ont appris à se faire entendre et se faire valoir. Encore que sur ce sujet, et celui des minorités en général – puisque le principe d’une minorité est d’être stigmatisée par un ensemble de préjugés, on rassemble le tout de manière totalement généralisante ici – ce sujet donc a comme pris le bord. Du moment où tout le monde s’est rassemblé déguisé pour les comités locaux, les minorités n’ont plus été visibles et leurs voix ont pu porter sans que les préjugés les suivent. Cette tempête médiatique et populiste, si terriblement dommageable pour tous les réfugiés climatiques des années 2000, est devenue un non sujet. Dès lors que des groupes humains se sont parlés, l’humanisme a repris le dessus. Avec les chamboulement démocratiques mondiaux dont on a déjà parlé, on a résolu une bonne partie de la problématique puisque les gens n’avaient plus besoin de quitter leurs pays pour toutes sortes de raisons horribles. Les migrations sont redevenues le fait d’aventuriers de l’âme, venus découvrir le monde, partager leur culture en apprenant de celles qui les accueillaient et le tout dans une douce candeur. Les réfugiés climatiques ne sont plus une crise média-proclamée et on arrive tant bien que mal à prendre en charge ces êtres humains qu’ont tout perdu grâce à nos conneries passées.

Les religions sont encore là, elles ont la peau dure, et les débats vont toujours bon train! Tout le monde est resté humain, vous inquiétez pas pour ça. On sait toujours se créer du drame à pas cher, c’est juste qu’on a plus besoin de se faire transposer nos peurs à coup de journaux télévisés alarmistes maintenant qu’on peut les nommer en public, ces peurs-là! Fak les gens ont toujours peur de la différence, mais à travers les rencontres et les discussions on passe tranquillement à travers.

Il est en train de se passer quelque chose de drôle avec tout ça d’ailleurs, sur le plan structural de la société mondiale… on va s’en jaser là.

5ème partie : on a un futur!

Grâce à tout ce remue-ménage, je vous dis que les autorités étatiques en ont pris pour leur grade. La gouvernance étant redevenue locale, les états ont été placés après de longues discussions de comités comme de simples facilitateurs d’échanges. Leurs attributions n’ont pas changé tant que ça : ils gèrent les infrastructures par l’argent des impôts. Le pouvoir législatif n’agit plus en vase clôt, les gens aimaient pas bein bein ça finalement et les constitutions ont été réécrites de façon à ce que les propositions de loi viennent du peuple et soient votées et amendées par lui, en fonction des intérêts des communautés qui les proposent.

L’ONU a pris une place prépondérante dans tout ça, et on commence à voir une évolution qui tend à la dissolution des états nations pour une multiplicité de communautés aux frontières floues et changeantes, basées sur des valeurs culturelles partagées, de vieux patois et autres traditions à la vie dure. Les conflits, car il y en a toujours bien sûr, sont gérés par les institutions en partenariat avec les communautés ou les restes de nations armées. Les armées s’ennuient pas mal je vous dirait, pour les plus va-t-en guerre on a encore pas mal de missions de pacification en cours dans le monde, mais plus d’interventions unilatérales et destructrices pour des intérêts monétaires de contrôle des ressources. Ça s’est finit tout récemment ça d’ailleurs, quand les États-Unis, la Russie et la Chine ont été forcés de mettre leurs armées au service de leurs populations chamboulées par les catastrophes climatiques à répétitions.

Les nations unies chapeautent le programme de reforestation mondial et contrôlent les émissions de CO2 selon un protocole multipartite très strict. Les industries contrevenantes se font mettre sous tutelle, et la corruption est sévèrement punie, de telle manière qu’on arrive à revenir à des seuils convenables (grâce aux arbres qu’on plante en ce moment, on est pas non plus sorti du bois avec la dynamique de la 6ème extinction et du réchauffement!).

L’agriculture dite « conventionnelle » a été réformée, les travailleurs éduqués à de nouvelles formes de pratique en permaculture, et on a assisté à un retour à la terre très marqué chez tous les cadres dont les fonctions ne servaient somme toute à rien. Les labels bio sont morts d’inanité, puisque sont seulement labélisés les produits de l’industrie de guerre reconvertie. Les marchés sont d’une beauté à couper le souffle, on redécouvre des variétés à la pelle et c’est pas demain la veille qu’on risque de mourir de faim avec le maillage de producteur qu’on a maintenant. Le labeur est dur au champ mais les paysans sont heureux de partager le fruit de leurs récoltes, et les fablabs aident en créant toutes sortes d’outils technologiques et techniques qui adoucissent le quotidien du travail de la terre.

La terre subit toujours les transformation de l’ère apocalyptique, comme on a fini par l’appeler, mais les effets sont mitigés par les nouvelles forêt en gestation et tous les sols qui redeviennent vivants. Les campagnes revivent, les villages rouvrent leurs écoles et les médecins ont plaisir à venir pratiquer dans ces communautés vivantes et dynamiques. On a moins besoin d’auto personnelles maintenant qu’on travaille proche d’ousqu’on vit, et les vendeurs de char ont pas eu bein bein le choix d’embarquer dans nos protocoles et produisent maintenant des voitures autonomes qu’on se partage au besoin.

L’accès à l’eau potable est devenu un droit humain inaliénable, ainsi que celui de l’accès aux soins, à un revenu minimum et à une éducation convenable. Les Droits de l’Homme sont devenus les Droits de l’Humain, et sont légalement renforcés au niveau mondial. On a aussi créé les Droits de la Terre dans la même veine, histoire d’éviter de replonger dans la fange consumériste.

Les écoles se transforment d’usines à conformité vers la découverte des personnalités. Les recherches en neuroscience avancent à une vitesse délirante et nos dogmes éducatifs sont mis à mal, mais les instituteurs ont réappris à aimer leurs métiers maintenant qu’ils ont les moyens de le pratiquer. Les parents ont le temps de vivre avec leurs enfants, le travail s’organisant de manière organique autour des besoins personnels, puis les villages s’occupent de l’éducation.

Voilà en quelques mots les transformations vécues ces dernières années dans le monde. La catastrophe annoncée de l’extinction probable de l’espèce humaine s’est transformée dans la plus formidable mission que l’humanité n’a jamais eu, ce qui nous a diverti de nos tendances destructrices pas à peu près. Avant les gens faisaient la guerre pour divertir l’opinion d’autres sujets via les 6 grands leviers du pouvoir – médias, politique, monnaie et les 3 autres là. On avait bien intégré la devise romaine du pain et des jeux. Avant on mangeait de la publicité contre notre attention et ça créait un argent virtuel et terriblement réel, divisant l’humanité d’une manière si arbitraire que ça s’est finalement résorbé dans un système qui n’est pas parfait, mais qui est enfin à la hauteur des défis auxquels nous faisons face.

On a un futur.